Author: | ERNEST RENAN | ISBN: | 1230002743349 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | October 26, 2018 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | ERNEST RENAN |
ISBN: | 1230002743349 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | October 26, 2018 |
Imprint: | |
Language: | French |
À leur sortie d’Antioche, Paul et Barnabé, ayant avec eux Jean-Marc, se rendirent à Séleucie. La marche d’Antioche à cette dernière ville est d’une petite journée. La route suit à distance la rive droite de l’Oronte, chevauchant sur les dernières ondulations des montagnes de la Piérie, et traversant à gué les nombreux cours d’eau qui en descendent. Ce sont de tous côtés des bois taillis de myrtes, d’arbousiers, de lauriers, de chênes verts ; de riches villages sont suspendus aux crêtes vivement coupées de la montagne. À gauche, la plaine de l’Oronte déploie sa brillante culture. Les sommets boisés des montagnes de Daphné ferment l’horizon du côté du sud. Ce pays n’est déjà plus la Syrie. On est ici en terre classique, riante, fertile, civilisée. Tous les noms rappellent la puissante colonie grecque qui donna à ces contrées une si haute importance historique et y fonda un centre d’opposition parfois violente contre l’esprit sémitique.
Séleucieétait le port d’Antioche et la grande issue de la Syrie septentrionale vers l’occident. La ville était assise en partie dans la plaine, en partie sur des hauteurs abruptes, vers l’angle que font les alluvions de l’Oronte avec le pied du Coryphée, à environ une lieue et demie au nord de l’embouchure du fleuve. C’est là que s’embarquait chaque année cet essaim d’êtres corrompus, nés d’une pourriture séculaire, qui venait s’abattre sur Rome et l’infecter. Le culte dominant était celui du mont Casius, beau sommet d’une forme régulière, situé de l’autre côté de l’Oronte et auquel se rattachaient des légendes. La côte est inhospitalière et tempêtueuse. Le vent du golfe tombant du haut des montagnes et prenant les flots à revers produit toujours au large une forte houle. Un bassin artificiel communiquant avec la mer par un étroit goulet mettait les navires à l’abri des coups de mer. Les quais, le môle formé de blocs énormes existent encore, et attendent en silence le jour peu éloigné où Séleucie redeviendra ce qu’elle fut jadis, une des grandes têtes de route du globe. En saluant pour la dernière fois de la main les frères assemblés sur le sable noir de la grève, Paul avait devant lui le bel arc de cercle formé par la côte à l’embouchure de l’Oronte ; à sa droite, le cône symétrique du Casius, sur lequel devait s’élever trois cents ans plus tard la fumée du dernier sacrifice païen ; à sa gauche, les pentes déchirées du mont Coryphée ; derrière lui, dans les nuages, les neiges du Taurus et la côte de Cilicie, qui ferme le golfe d’Issus. L’heure était solennelle. Bien que sorti depuis plusieurs années du pays qui fut son berceau, le christianisme n’avait pas encore franchi les limites de la Syrie. Or, les Juifs considéraient la Syrie tout entière jusqu’à l’Amanus comme faisant partie de la terre sainte, comme participant à ses prérogatives, à ses rites et à ses devoirs. Voici donc le moment où le christianisme quitte réellement sa terre natale et se lance dans le vaste monde.
Paul avait déjà beaucoup voyagé pour répandre le nom de Jésus. Il y avait sept ans qu’il était chrétien, et pas un jour son ardente conviction ne s’était endormie. Son départ d’Antioche avec Barnabé marqua cependant un changement décisif dans sa carrière. Alors commença pour lui cette vie apostolique où il déploya une activité sans égale et un degré inouï d’ardeur et de passion. Les voyages étaient alors fort difficiles, quand on ne les faisait pas par mer ; les routes carrossables et les véhicules n’existaient guère. Voilà pourquoi la propagation du christianisme se fit le long des côtes et des grands fleuves. Pouzzoles, Lyon eurent des chrétiens quand une foule de villes voisines du berceau du christianisme n’avaient pas entendu parler de Jésus.
Paul, ce semble, allait presque toujours à pied, vivant sans doute de pain, de légumes et de lait. Dans cette vie de piéton errant, que de privations, que d’épreuves ! La police était négligente ou brutale. Sept fois Paul fut enchaîné. Aussi, quand il le pouvait, préférait-il la navigation. Assurément aux heures où elles sont calmes, ces mers sont admirables ; mais, tout à coup aussi, ce sont de fous caprices ; s’échouer sur le sable, s’accrocher à un débris, est alors le seul parti à prendre. Le péril était partout : « Les fatigues, les prisons, les coups, la mort, dit le héros lui-même, j’ai goûté tout cela avec surabondance. Cinq fois les Juifs m’ont appliqué leurs trente-neuf coups de cordes ; trois fois j’ai été bâtonné ; une fois j’ai été lapidé ; trois fois j’ai fait naufrage ; j’ai passé un jour et une nuit dans l’abîme. Voyages sans nombre, dangers au passage des fleuves, dangers des voleurs, dangers venant de la race d’Israël, dangers venant des gentils, dangers dans les villes, dangers dans le désert, dangers sur la mer, dangers des faux frères, j’ai tout connu. Fatigues, labeurs, veilles répétées, faim, soif, jeûnes prolongés, froid, nudité, voilà ma vie. » L’apôtre écrivait cela en 56, quand ses épreuves étaient loin de leur fin. Près de dix ans encore, il devait mener cette existence, que la mort seule pouvait dignement couronner.
À leur sortie d’Antioche, Paul et Barnabé, ayant avec eux Jean-Marc, se rendirent à Séleucie. La marche d’Antioche à cette dernière ville est d’une petite journée. La route suit à distance la rive droite de l’Oronte, chevauchant sur les dernières ondulations des montagnes de la Piérie, et traversant à gué les nombreux cours d’eau qui en descendent. Ce sont de tous côtés des bois taillis de myrtes, d’arbousiers, de lauriers, de chênes verts ; de riches villages sont suspendus aux crêtes vivement coupées de la montagne. À gauche, la plaine de l’Oronte déploie sa brillante culture. Les sommets boisés des montagnes de Daphné ferment l’horizon du côté du sud. Ce pays n’est déjà plus la Syrie. On est ici en terre classique, riante, fertile, civilisée. Tous les noms rappellent la puissante colonie grecque qui donna à ces contrées une si haute importance historique et y fonda un centre d’opposition parfois violente contre l’esprit sémitique.
Séleucieétait le port d’Antioche et la grande issue de la Syrie septentrionale vers l’occident. La ville était assise en partie dans la plaine, en partie sur des hauteurs abruptes, vers l’angle que font les alluvions de l’Oronte avec le pied du Coryphée, à environ une lieue et demie au nord de l’embouchure du fleuve. C’est là que s’embarquait chaque année cet essaim d’êtres corrompus, nés d’une pourriture séculaire, qui venait s’abattre sur Rome et l’infecter. Le culte dominant était celui du mont Casius, beau sommet d’une forme régulière, situé de l’autre côté de l’Oronte et auquel se rattachaient des légendes. La côte est inhospitalière et tempêtueuse. Le vent du golfe tombant du haut des montagnes et prenant les flots à revers produit toujours au large une forte houle. Un bassin artificiel communiquant avec la mer par un étroit goulet mettait les navires à l’abri des coups de mer. Les quais, le môle formé de blocs énormes existent encore, et attendent en silence le jour peu éloigné où Séleucie redeviendra ce qu’elle fut jadis, une des grandes têtes de route du globe. En saluant pour la dernière fois de la main les frères assemblés sur le sable noir de la grève, Paul avait devant lui le bel arc de cercle formé par la côte à l’embouchure de l’Oronte ; à sa droite, le cône symétrique du Casius, sur lequel devait s’élever trois cents ans plus tard la fumée du dernier sacrifice païen ; à sa gauche, les pentes déchirées du mont Coryphée ; derrière lui, dans les nuages, les neiges du Taurus et la côte de Cilicie, qui ferme le golfe d’Issus. L’heure était solennelle. Bien que sorti depuis plusieurs années du pays qui fut son berceau, le christianisme n’avait pas encore franchi les limites de la Syrie. Or, les Juifs considéraient la Syrie tout entière jusqu’à l’Amanus comme faisant partie de la terre sainte, comme participant à ses prérogatives, à ses rites et à ses devoirs. Voici donc le moment où le christianisme quitte réellement sa terre natale et se lance dans le vaste monde.
Paul avait déjà beaucoup voyagé pour répandre le nom de Jésus. Il y avait sept ans qu’il était chrétien, et pas un jour son ardente conviction ne s’était endormie. Son départ d’Antioche avec Barnabé marqua cependant un changement décisif dans sa carrière. Alors commença pour lui cette vie apostolique où il déploya une activité sans égale et un degré inouï d’ardeur et de passion. Les voyages étaient alors fort difficiles, quand on ne les faisait pas par mer ; les routes carrossables et les véhicules n’existaient guère. Voilà pourquoi la propagation du christianisme se fit le long des côtes et des grands fleuves. Pouzzoles, Lyon eurent des chrétiens quand une foule de villes voisines du berceau du christianisme n’avaient pas entendu parler de Jésus.
Paul, ce semble, allait presque toujours à pied, vivant sans doute de pain, de légumes et de lait. Dans cette vie de piéton errant, que de privations, que d’épreuves ! La police était négligente ou brutale. Sept fois Paul fut enchaîné. Aussi, quand il le pouvait, préférait-il la navigation. Assurément aux heures où elles sont calmes, ces mers sont admirables ; mais, tout à coup aussi, ce sont de fous caprices ; s’échouer sur le sable, s’accrocher à un débris, est alors le seul parti à prendre. Le péril était partout : « Les fatigues, les prisons, les coups, la mort, dit le héros lui-même, j’ai goûté tout cela avec surabondance. Cinq fois les Juifs m’ont appliqué leurs trente-neuf coups de cordes ; trois fois j’ai été bâtonné ; une fois j’ai été lapidé ; trois fois j’ai fait naufrage ; j’ai passé un jour et une nuit dans l’abîme. Voyages sans nombre, dangers au passage des fleuves, dangers des voleurs, dangers venant de la race d’Israël, dangers venant des gentils, dangers dans les villes, dangers dans le désert, dangers sur la mer, dangers des faux frères, j’ai tout connu. Fatigues, labeurs, veilles répétées, faim, soif, jeûnes prolongés, froid, nudité, voilà ma vie. » L’apôtre écrivait cela en 56, quand ses épreuves étaient loin de leur fin. Près de dix ans encore, il devait mener cette existence, que la mort seule pouvait dignement couronner.