Scandale de la vérité

Fiction & Literature, Classics
Cover of the book Scandale de la vérité by Georges Bernanos, GILBERT TEROL
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Author: Georges Bernanos ISBN: 1230003151327
Publisher: GILBERT TEROL Publication: March 25, 2019
Imprint: Language: French
Author: Georges Bernanos
ISBN: 1230003151327
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: March 25, 2019
Imprint:
Language: French

Il n’y a pas un homme de mon pays qui n’entende aujourd’hui retentir à ses oreilles l’exhortation charitable de Maître Guillaume, et ne soit tenté de s’écrier, avec l’ange de la Patrie : « Vrai, je Croy bien que mes voix m’aient déçue ! »

« Elle riait en prononçant la formule d’abjuration », rapportent les témoins. La pensée de ce rire ne m’a pas quitté tout au long de ces affreuses semaines. Je n’ose pas dire qu’elle ait beaucoup soutenu mon courage, et d’ailleurs je n’ai pas le courage de regarder en face le déshonneur de mon pays. Le mot de déshonneur me paraît lui-même sans proportion avec les événements et les hommes, je me demande si nous avions encore tant d’honneur à perdre. Il y a une sorte de courage qui n’est qu’une forme de refus et qui porte, je crois, le nom de stoïcisme. Ce mot n’a aucun sens dans notre langue. Nos héros sont des militaires ou des saints, gens simples parmi les simples, et lorsque la douleur nous exerce, nous n’avons pas plus besoin d’un maître à souffrir que d’un maître à danser. Nous tâchons de souffrir au jour le jour, selon ce que Dieu nous demande, la tête autant que possible tournée vers le mur, afin de ne pas décourager le prochain. La plus lugubre de toutes les grimaces humaines est probablement celle du pauvre cuistre à l’agonie, et qui se travaille pour crever en cuistre, rendant par tous les orifices le contenu de son dictionnaire grec et latin. « Ou souffrir ou mourir », disait sainte Thérèse d’Avila. Pour désirer la souffrance, il faut l’aimer. Qui n’est pas capable de l’aimer, fait mieux de l’endurer humblement, aveuglément, et même de se plaindre tout son saoul. L’orgueil et la constipation me paraissent deux causes également redoutables d’échauffement, et la première conséquence d’une crise de stoïcisme, c’est de faire monter la température. Que le diable emporte les surhommes !

« Elle riait en prononçant la formule d’abjuration. » Il est facile d’imaginer ce rire. J’entends son éclat discordant, je vois le regard égaré, les joues creuses, le front luisant de sueur et tout le frémissement du jeune corps courbé sous la menace du feu. « Je croy bien que mes voix m’ont déçue. » Non pas ses voix mais l’honneur. La vie vaut-elle plus que l’honneur ? L’honneur plus que la vie ? Qui ne s’est pas posé une fois la question, ne sait pas ce que c’est que l’honneur, ni la vie. « À quoi bon ? » dit le cynique. « À quoi bon ? » répète le prêtre, bien que dans un sens différent. « La nature ignore l’honneur », dit le savant. Et l’historien lui répond : « Quiconque dispose en ce monde de la gloire et de la puissance aura toujours assez d’honneur. » Ces raisons valent ce qu’elles valent. Si elles ne valaient rien, le débat n’aurait pas de sens. Elles valent beaucoup. Elles valent trop. Aussi longtemps qu’un homme n’a pas senti comme éclater en lui leur évidence, aussi longtemps que son sang et sa chair ne se sont pas faits leurs complices, il n’est jamais qu’un malheureux, doué de plus de courage que de jugement. S’il est assez fou pour croire qu’il sera bien payé de sa mort par l’admiration de la postérité, si un tel calcul lui paraît plein de discernement et de prévoyance, Dieu le bénisse ! C’est un bon citoyen, tel que l’État n’en saurait jamais trop voir mûrir sur ses espaliers. Mais quand ses entrailles commenceront de s’émouvoir en faveur d’une autre sagesse, non si basse qu’on croit, c’est alors qu’il dépendra de lui de pénétrer ou non dans un univers bien différent du nôtre, où le saint se trouverait peut-être aussi dépaysé que le lâche, car l’honneur humain est un mystère accessible aux seuls prédestinés. Il est des femmes pour qui l’impureté reste une énigme repoussante, on ne saurait les dire pures. Pour être un héros, il faut avoir au moins une fois en sa vie senti l’inutilité de l’héroïsme et de quel poids infime pèse l’acte héroïque dans l’immense déroulement des effets et des causes, réconcilié son âme avec l’idée de la lâcheté, bravé par avance la faible, l’impuissante, l’oublieuse réprobation des gens de bien, senti monter jusqu’à son front la chaleur du plus sûr et du plus profond repaire, l’universelle complicité des lâches, toujours béante, avec l’odeur des troupeaux d’hommes. Qui n’a pas une fois désespéré de l’honneur, ne sera jamais un héros.

Ce mot de désespoir sonne mal à certaines oreilles. « Le désespoir en politique est une sottise absolue », a dit un jour Maurras, pour l’émerveillement des mufles. Aux yeux de ce petit bourgeois humaniste, fécondé par une goutte de sang juif ou maure, le désespoir n’est qu’un aveu d’impuissance, une manière d’aller se coucher. Absolument étranger à toute vie intérieure surnaturelle, le doute même lui apparaît ainsi qu’une bassesse gratuite, un vice de l’âme. C’est qu’il ne désespérera jamais de ses livres, il ne désespérera jamais de lui-même. Pour être tenté du désespoir, il faudrait d’abord avoir aimé.

Au fond il nous importe peu de savoir ce que la France a été. Ce qu’elle est, voilà ce qui nous tenaille. Est-elle là ? Est-ce sa voix qui nous parle ? Est-ce sa main qui nous étreint si doucement dans l’ombre ? Et quand nous nous demandons avec angoisse : « L’aimons-nous encore ? », je pense que cela signifie : « Nous aime-t-elle toujours ? Nous est-elle fidèle, ne va-t-elle pas nous renier ? »

Certes, il y a une France que nous pouvons connaître à travers l’histoire, ainsi qu’un homme par sa vie passée, les circonstances de sa vie. Mais cette connaissance est bien vaine. Elle nous donne le bilan des expériences françaises. À quoi bon ? Nous comprenons parfaitement qu’un grand nombre de ces expériences nous furent imposées du dehors, qu’elles ne nous renseignent nullement sur le véritable destin de notre peuple, c’est-à-dire pour parler franchement, sur ce que Dieu attend de lui. Est-ce que Dieu attend encore quelque chose de nous ? Telle est la question qui nous angoisse. De quel droit la posons-nous ? Eh bien, nous ne pouvons faire autrement que nous la poser, voilà tout. De quel droit les réalistes prétendraient-ils nous imposer leur point de vue ? J’ose dire que les réalistes comptent pour peu de chose dans l’histoire de mon pays. L’histoire de mon pays a été faite par des gens qui croyaient à la vocation surnaturelle de la France et qui étaient assez bêtes pour mourir, alors que la destinée naturelle des réalistes me paraît être les obsèques nationales et l’Académie.

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Il n’y a pas un homme de mon pays qui n’entende aujourd’hui retentir à ses oreilles l’exhortation charitable de Maître Guillaume, et ne soit tenté de s’écrier, avec l’ange de la Patrie : « Vrai, je Croy bien que mes voix m’aient déçue ! »

« Elle riait en prononçant la formule d’abjuration », rapportent les témoins. La pensée de ce rire ne m’a pas quitté tout au long de ces affreuses semaines. Je n’ose pas dire qu’elle ait beaucoup soutenu mon courage, et d’ailleurs je n’ai pas le courage de regarder en face le déshonneur de mon pays. Le mot de déshonneur me paraît lui-même sans proportion avec les événements et les hommes, je me demande si nous avions encore tant d’honneur à perdre. Il y a une sorte de courage qui n’est qu’une forme de refus et qui porte, je crois, le nom de stoïcisme. Ce mot n’a aucun sens dans notre langue. Nos héros sont des militaires ou des saints, gens simples parmi les simples, et lorsque la douleur nous exerce, nous n’avons pas plus besoin d’un maître à souffrir que d’un maître à danser. Nous tâchons de souffrir au jour le jour, selon ce que Dieu nous demande, la tête autant que possible tournée vers le mur, afin de ne pas décourager le prochain. La plus lugubre de toutes les grimaces humaines est probablement celle du pauvre cuistre à l’agonie, et qui se travaille pour crever en cuistre, rendant par tous les orifices le contenu de son dictionnaire grec et latin. « Ou souffrir ou mourir », disait sainte Thérèse d’Avila. Pour désirer la souffrance, il faut l’aimer. Qui n’est pas capable de l’aimer, fait mieux de l’endurer humblement, aveuglément, et même de se plaindre tout son saoul. L’orgueil et la constipation me paraissent deux causes également redoutables d’échauffement, et la première conséquence d’une crise de stoïcisme, c’est de faire monter la température. Que le diable emporte les surhommes !

« Elle riait en prononçant la formule d’abjuration. » Il est facile d’imaginer ce rire. J’entends son éclat discordant, je vois le regard égaré, les joues creuses, le front luisant de sueur et tout le frémissement du jeune corps courbé sous la menace du feu. « Je croy bien que mes voix m’ont déçue. » Non pas ses voix mais l’honneur. La vie vaut-elle plus que l’honneur ? L’honneur plus que la vie ? Qui ne s’est pas posé une fois la question, ne sait pas ce que c’est que l’honneur, ni la vie. « À quoi bon ? » dit le cynique. « À quoi bon ? » répète le prêtre, bien que dans un sens différent. « La nature ignore l’honneur », dit le savant. Et l’historien lui répond : « Quiconque dispose en ce monde de la gloire et de la puissance aura toujours assez d’honneur. » Ces raisons valent ce qu’elles valent. Si elles ne valaient rien, le débat n’aurait pas de sens. Elles valent beaucoup. Elles valent trop. Aussi longtemps qu’un homme n’a pas senti comme éclater en lui leur évidence, aussi longtemps que son sang et sa chair ne se sont pas faits leurs complices, il n’est jamais qu’un malheureux, doué de plus de courage que de jugement. S’il est assez fou pour croire qu’il sera bien payé de sa mort par l’admiration de la postérité, si un tel calcul lui paraît plein de discernement et de prévoyance, Dieu le bénisse ! C’est un bon citoyen, tel que l’État n’en saurait jamais trop voir mûrir sur ses espaliers. Mais quand ses entrailles commenceront de s’émouvoir en faveur d’une autre sagesse, non si basse qu’on croit, c’est alors qu’il dépendra de lui de pénétrer ou non dans un univers bien différent du nôtre, où le saint se trouverait peut-être aussi dépaysé que le lâche, car l’honneur humain est un mystère accessible aux seuls prédestinés. Il est des femmes pour qui l’impureté reste une énigme repoussante, on ne saurait les dire pures. Pour être un héros, il faut avoir au moins une fois en sa vie senti l’inutilité de l’héroïsme et de quel poids infime pèse l’acte héroïque dans l’immense déroulement des effets et des causes, réconcilié son âme avec l’idée de la lâcheté, bravé par avance la faible, l’impuissante, l’oublieuse réprobation des gens de bien, senti monter jusqu’à son front la chaleur du plus sûr et du plus profond repaire, l’universelle complicité des lâches, toujours béante, avec l’odeur des troupeaux d’hommes. Qui n’a pas une fois désespéré de l’honneur, ne sera jamais un héros.

Ce mot de désespoir sonne mal à certaines oreilles. « Le désespoir en politique est une sottise absolue », a dit un jour Maurras, pour l’émerveillement des mufles. Aux yeux de ce petit bourgeois humaniste, fécondé par une goutte de sang juif ou maure, le désespoir n’est qu’un aveu d’impuissance, une manière d’aller se coucher. Absolument étranger à toute vie intérieure surnaturelle, le doute même lui apparaît ainsi qu’une bassesse gratuite, un vice de l’âme. C’est qu’il ne désespérera jamais de ses livres, il ne désespérera jamais de lui-même. Pour être tenté du désespoir, il faudrait d’abord avoir aimé.

Au fond il nous importe peu de savoir ce que la France a été. Ce qu’elle est, voilà ce qui nous tenaille. Est-elle là ? Est-ce sa voix qui nous parle ? Est-ce sa main qui nous étreint si doucement dans l’ombre ? Et quand nous nous demandons avec angoisse : « L’aimons-nous encore ? », je pense que cela signifie : « Nous aime-t-elle toujours ? Nous est-elle fidèle, ne va-t-elle pas nous renier ? »

Certes, il y a une France que nous pouvons connaître à travers l’histoire, ainsi qu’un homme par sa vie passée, les circonstances de sa vie. Mais cette connaissance est bien vaine. Elle nous donne le bilan des expériences françaises. À quoi bon ? Nous comprenons parfaitement qu’un grand nombre de ces expériences nous furent imposées du dehors, qu’elles ne nous renseignent nullement sur le véritable destin de notre peuple, c’est-à-dire pour parler franchement, sur ce que Dieu attend de lui. Est-ce que Dieu attend encore quelque chose de nous ? Telle est la question qui nous angoisse. De quel droit la posons-nous ? Eh bien, nous ne pouvons faire autrement que nous la poser, voilà tout. De quel droit les réalistes prétendraient-ils nous imposer leur point de vue ? J’ose dire que les réalistes comptent pour peu de chose dans l’histoire de mon pays. L’histoire de mon pays a été faite par des gens qui croyaient à la vocation surnaturelle de la France et qui étaient assez bêtes pour mourir, alors que la destinée naturelle des réalistes me paraît être les obsèques nationales et l’Académie.

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