Histoire socialiste de la France contemporaine Tome V

Nonfiction, History, France
Cover of the book Histoire socialiste de la France contemporaine Tome V by JEAN JAURÈS, GILBERT TEROL
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Author: JEAN JAURÈS ISBN: 1230002767321
Publisher: GILBERT TEROL Publication: October 31, 2018
Imprint: Language: French
Author: JEAN JAURÈS
ISBN: 1230002767321
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: October 31, 2018
Imprint:
Language: French

Certains historiens, Michelet notamment, arrêtent l’histoire de la Révolution au 9 thermidor an II (27 juillet 1794). De fait, à cette date, la Révolution, dans sa forme démocratique, est terminée ; suivant le mot d’un thermidorien, Barère (Mémoires, t. II, p. 236), « le 9 thermidor brisa le ressort révolutionnaire ».

Au point de vue du fond, au point de vue économique, les hommes de la Révolution avaient à transformer les rapports sociaux et à les adapter aux nécessités économiques de leur époque. Ils ont accompli de telle sorte la tâche qui leur incombait que, par la force des choses et malgré la puissance à certains moments des volontés hostiles à leur œuvre, celle-ci est restée debout.

Au point de vue de la forme, au point de vue politique, l’édifice de la Révolution n’a pas eu la solidité de sa base économique ; et le 9 thermidor fut le point de départ de la réaction qui devait, pour de longues années, aboutir à la chute de la République. Un aussi complet recul était-il de toute façon inévitable ? Je ne le pense pas. Car, si le fond économique sert de base aux phénomènes politiques comme aux autres phénomènes sociaux, il n’implique pas fatalement la forme sous laquelle ces phénomènes se produisent. Les fautes, en effet, sont fréquentes sans être obligatoires ; parce qu’il est possible de trouver ce qui les a déterminées, il ne s’ensuit pas toujours qu’elles dussent être forcément commises, et, quand elles l’ont été, il est bon de les signaler pour essayer d’en éviter le renouvellement. Sans doute, une organisation politique dépassant les besoins de la bourgeoisie, n’était pas viable il y a un siècle et tout ce qui, élaboré sous l’impulsion des prolétaires parisiens, maîtres un instant du mouvement, allait au-delà de ces besoins, était condamné à disparaître. Il n’était au pouvoir de personne de faire vivre, après la Révolution, une République qui fût réellement la chose de tous ; en particulier, l’extrême divergence qu’il y aurait eu entre l’état arriéré de l’Europe et une République française véritablement démocratique n’aurait pas permis à celle-ci de durer. Mais la forme républicaine aurait peut-être pu persister ; or, à cette époque comme à n’importe quelle autre, il y avait, tout au moins pour l’avenir, un avantage immense au maintien de la République, quoique celle-ci eût eu nécessairement alors à abriter l’évolution grandissante du capitalisme. Le scepticisme et l’ironie de certains sur la valeur comparée de la forme monarchique et de la forme républicaine sont un indice de myopie politique lorsqu’ils ne constituent pas des paravents commodes pour dissimuler, en république, d’inavouables compromissions, en monarchie, la supériorité pénible, semble-t-il, à avouer de camarades voisins.

La cause directe de la chute de la République a été la fâcheuse extension donnée au régime de la Terreur ; mais cette extension n’a été que la conséquence dernière, dans un milieu spécial, des divisions du parti républicain devenues irréductibles ; et elles le redeviendront chaque fois que la conception de l’intérêt général et de l’intérêt bien entendu de chacun se trouvera obscurcie par la rage de dominer, par l’impatience des ambitions personnelles, par la ridicule passion d’être en évidence, par les rancunes implacables des vanités déçues ou des avidités inassouvies. Le recours à la Terreur trouve son explication dans la situation de la France menacée à l’intérieur, menacée à l’extérieur, ayant, de tous les côtés à la fois, à faire face aux plus graves périls. Au dedans, au dehors, les royalistes, criminellement alliés à l’étranger hostile, étaient acharnés à sa perte, la France républicaine ne pouvait vivre qu’en frappant leurs chefs, qu’en retenant par la crainte ceux qui avaient des velléités de devenir leurs complices ; elle ne pouvait vivre qu’en supprimant ceux qui s’efforçaient de la tuer. Et la Terreur qui n’aurait eu aucune excuse si le gouvernement révolutionnaire avait disposé d’autres moyens de maîtriser les forces déchaînées contre lui, la Terreur est justifiée tant que, dans ses applications, elle n’a été qu’un fait de légitime défense indéniable, le cas de légitime défense étant le seul qui puisse autoriser à donner la mort à un être humain.

L’intérêt même de la cause qu’on a eu raison de vouloir défendre à tout prix, exigeait qu’on n’allât pas au-delà, le régime de la Terreur aurait dû, au point de vue de l’humanité comme au point de vue du succès, n’être inquiétant que pour les ennemis déclarés du nouvel ordre des choses. Dés lors, il aurait dû être appliqué dans des limites telles — frappant impitoyablement les chefs, menaçant tous ceux qui se laisseraient aller à les remplacer, épargnant les adversaires qui s’abstenaient de prendre part à la lutte — que les indifférents se sentissent par lui rassurés contre leurs maîtres de la veille dont les manœuvres devaient devenir pour eux la seule chose à redouter. Malheureusement, ce qui était un moyen de défense, le seul moyen de défense efficace contre des attaques mortelles, fut exagéré, au lieu d’être restreint le plus possible ; ce moyen de défense fut, en outre, transformé en moyen de gouvernement, en moyen d’étouffer des oppositions n’ayant rien de menaçant pour le nouvel ordre des choses.

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Certains historiens, Michelet notamment, arrêtent l’histoire de la Révolution au 9 thermidor an II (27 juillet 1794). De fait, à cette date, la Révolution, dans sa forme démocratique, est terminée ; suivant le mot d’un thermidorien, Barère (Mémoires, t. II, p. 236), « le 9 thermidor brisa le ressort révolutionnaire ».

Au point de vue du fond, au point de vue économique, les hommes de la Révolution avaient à transformer les rapports sociaux et à les adapter aux nécessités économiques de leur époque. Ils ont accompli de telle sorte la tâche qui leur incombait que, par la force des choses et malgré la puissance à certains moments des volontés hostiles à leur œuvre, celle-ci est restée debout.

Au point de vue de la forme, au point de vue politique, l’édifice de la Révolution n’a pas eu la solidité de sa base économique ; et le 9 thermidor fut le point de départ de la réaction qui devait, pour de longues années, aboutir à la chute de la République. Un aussi complet recul était-il de toute façon inévitable ? Je ne le pense pas. Car, si le fond économique sert de base aux phénomènes politiques comme aux autres phénomènes sociaux, il n’implique pas fatalement la forme sous laquelle ces phénomènes se produisent. Les fautes, en effet, sont fréquentes sans être obligatoires ; parce qu’il est possible de trouver ce qui les a déterminées, il ne s’ensuit pas toujours qu’elles dussent être forcément commises, et, quand elles l’ont été, il est bon de les signaler pour essayer d’en éviter le renouvellement. Sans doute, une organisation politique dépassant les besoins de la bourgeoisie, n’était pas viable il y a un siècle et tout ce qui, élaboré sous l’impulsion des prolétaires parisiens, maîtres un instant du mouvement, allait au-delà de ces besoins, était condamné à disparaître. Il n’était au pouvoir de personne de faire vivre, après la Révolution, une République qui fût réellement la chose de tous ; en particulier, l’extrême divergence qu’il y aurait eu entre l’état arriéré de l’Europe et une République française véritablement démocratique n’aurait pas permis à celle-ci de durer. Mais la forme républicaine aurait peut-être pu persister ; or, à cette époque comme à n’importe quelle autre, il y avait, tout au moins pour l’avenir, un avantage immense au maintien de la République, quoique celle-ci eût eu nécessairement alors à abriter l’évolution grandissante du capitalisme. Le scepticisme et l’ironie de certains sur la valeur comparée de la forme monarchique et de la forme républicaine sont un indice de myopie politique lorsqu’ils ne constituent pas des paravents commodes pour dissimuler, en république, d’inavouables compromissions, en monarchie, la supériorité pénible, semble-t-il, à avouer de camarades voisins.

La cause directe de la chute de la République a été la fâcheuse extension donnée au régime de la Terreur ; mais cette extension n’a été que la conséquence dernière, dans un milieu spécial, des divisions du parti républicain devenues irréductibles ; et elles le redeviendront chaque fois que la conception de l’intérêt général et de l’intérêt bien entendu de chacun se trouvera obscurcie par la rage de dominer, par l’impatience des ambitions personnelles, par la ridicule passion d’être en évidence, par les rancunes implacables des vanités déçues ou des avidités inassouvies. Le recours à la Terreur trouve son explication dans la situation de la France menacée à l’intérieur, menacée à l’extérieur, ayant, de tous les côtés à la fois, à faire face aux plus graves périls. Au dedans, au dehors, les royalistes, criminellement alliés à l’étranger hostile, étaient acharnés à sa perte, la France républicaine ne pouvait vivre qu’en frappant leurs chefs, qu’en retenant par la crainte ceux qui avaient des velléités de devenir leurs complices ; elle ne pouvait vivre qu’en supprimant ceux qui s’efforçaient de la tuer. Et la Terreur qui n’aurait eu aucune excuse si le gouvernement révolutionnaire avait disposé d’autres moyens de maîtriser les forces déchaînées contre lui, la Terreur est justifiée tant que, dans ses applications, elle n’a été qu’un fait de légitime défense indéniable, le cas de légitime défense étant le seul qui puisse autoriser à donner la mort à un être humain.

L’intérêt même de la cause qu’on a eu raison de vouloir défendre à tout prix, exigeait qu’on n’allât pas au-delà, le régime de la Terreur aurait dû, au point de vue de l’humanité comme au point de vue du succès, n’être inquiétant que pour les ennemis déclarés du nouvel ordre des choses. Dés lors, il aurait dû être appliqué dans des limites telles — frappant impitoyablement les chefs, menaçant tous ceux qui se laisseraient aller à les remplacer, épargnant les adversaires qui s’abstenaient de prendre part à la lutte — que les indifférents se sentissent par lui rassurés contre leurs maîtres de la veille dont les manœuvres devaient devenir pour eux la seule chose à redouter. Malheureusement, ce qui était un moyen de défense, le seul moyen de défense efficace contre des attaques mortelles, fut exagéré, au lieu d’être restreint le plus possible ; ce moyen de défense fut, en outre, transformé en moyen de gouvernement, en moyen d’étouffer des oppositions n’ayant rien de menaçant pour le nouvel ordre des choses.

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