La Femme au collier de velours

Fiction & Literature, Historical
Cover of the book La Femme au collier de velours by ALEXANDRE DUMAS, GILBERT TEROL
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Author: ALEXANDRE DUMAS ISBN: 1230001320763
Publisher: GILBERT TEROL Publication: August 25, 2016
Imprint: Language: French
Author: ALEXANDRE DUMAS
ISBN: 1230001320763
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: August 25, 2016
Imprint:
Language: French

Extrait :

Le 4 décembre 1846, mon bâtiment étant à l’ancre depuis la veille dans la baie de Tunis, je me réveillai vers cinq heures du matin avec une de ces impressions de Profonde mélancolie qui font, pour tout un jour, l’œil humide et la poitrine gonflée.

Cette impression venait d’un rêve.

Je sautai en bas de mon cadre, je passai un pantalon à pieds, je montai sur le pont, et je regardai en face et autour de moi.

J’espérais que le merveilleux paysage qui se déroulait sous mes yeux allait distraire mon esprit de cette préoccupation, d’autant plus obstinée qu’elle avait une cause moins réelle.

J’avais devant moi, à une portée de fusil, la jetée qui s’étendait du fort de la Goulette au fort de l’Arsenal, laissant un étroit passage aux bâtimens qui veulent pénétrer du golfe dans le lac. Ce lac, aux eaux bleues comme l’azur du ciel qu’elles réfléchissaient, était tout agité, dans certains endroits, par les battements d’ailes d’une troupe de cygnes, tandis que, sur des pieux plantés de distance en distance pour indiquer des bas-fonds, se tenait immobile, pareil à ces oiseaux qu’on sculpte sur les sépulcres, un cormoran qui, tout à coup, se laissait tomber comme une pierre, plongeait pour attraper sa proie, revenait à la surface de l’eau avec un poisson au travers du bec, avalait ce poisson, remontait sur son pieu, et reprenait sa taciturne immobilité jusqu’à ce qu’un nouveau poisson, passant à sa portée, sollicitât son appétit, et, l’emportant sur sa paresse, le fît disparaître de nouveau pour reparaître encore.

Et pendant ce temps, de cinq minutes en cinq minutes, l’air était rayé par une file de flamands dont les ailes de pourpre se détachaient sur le blanc mat de leur plumage, et, formant un dessin carré, semblaient un jeu de cartes composé d’as de carreau seulement, et volant sur une seule ligne.

À l’horizon était Tunis, c’est-à-dire un amas de maisons carrées, sans fenêtres, sans ouvertures, montant en amphithéâtre, blanches comme de la craie, et se détachant sur le ciel avec une netteté singulière. À gauche s’élevaient comme une immense muraille à créneaux, les montagnes de Plomb, dont le nom indique la teinte sombre ; à leur pied rampaient le marabout et le village des Sidi-Fathallah ; à droite on distinguait le tombeau de Saint-Louis et la place où fut Carthage ; deux des plus grands souvenirs qu’il y ait dans l’histoire du monde. Derrière nous se balançait à l’ancre le Montezuma, magnifique frégate à vapeur de la force de quatre cent cinquante chevaux.

Certes, il y avait bien là de quoi distraire l’imagination la plus préoccupée. À la vue de toutes ces richesses, en eût oublié la veille, le jour et le lendemain. Mais mon esprit était à dix ans de là, fixé obstinément sur une seule pensée qu’un rêve avait clouée dans mon cerveau.

Mon œil devint fixe. Tout ce splendide panorama s’effaça Peu à peu dans la vaguité de mon regard. Bientôt je ne vis plus rien de ce qui existait : La réalité disparut ; puis, du milieu de ce vide nuageux, comme sous la baguette d’une fée, se dessina un salon aux lambris blancs, dans l’enfoncement duquel, assise devant un piano où ses doigts erraient négligemment, se tenait une femme inspirée et pensive à la fois, une muse et une sainte. Je reconnus cette femme, et je murmurai comme si elle eût pu m’entendre :

— Je vous salue, Marie, pleine de grâces, mon esprit est avec vous.

Puis, n’essayant plus de résister à cet ange aux ailes blanches qui, me ramenant aux jours de ma jeunesse, et comme une vision charmante, me montrait cette chaste figure de jeune fille, de jeune femme et de mère, je me laissai emporter au courant de ce fleuve qu’on appelle la mémoire, et qui remonte le passé au lieu de descendre vers l’avenir.

Alors je fus pris de ce sentiment si égoïste, et par conséquent si naturel à l’homme, qui le pousse à ne point garder sa pensée à lui seul, à doubler l’étendue de ses sensations en les communiquant, et à verser enfin dans une autre âme la liqueur douce ou amère qui remplit son âme.

Je pris une plume et j’écrivis :

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Extrait :

Le 4 décembre 1846, mon bâtiment étant à l’ancre depuis la veille dans la baie de Tunis, je me réveillai vers cinq heures du matin avec une de ces impressions de Profonde mélancolie qui font, pour tout un jour, l’œil humide et la poitrine gonflée.

Cette impression venait d’un rêve.

Je sautai en bas de mon cadre, je passai un pantalon à pieds, je montai sur le pont, et je regardai en face et autour de moi.

J’espérais que le merveilleux paysage qui se déroulait sous mes yeux allait distraire mon esprit de cette préoccupation, d’autant plus obstinée qu’elle avait une cause moins réelle.

J’avais devant moi, à une portée de fusil, la jetée qui s’étendait du fort de la Goulette au fort de l’Arsenal, laissant un étroit passage aux bâtimens qui veulent pénétrer du golfe dans le lac. Ce lac, aux eaux bleues comme l’azur du ciel qu’elles réfléchissaient, était tout agité, dans certains endroits, par les battements d’ailes d’une troupe de cygnes, tandis que, sur des pieux plantés de distance en distance pour indiquer des bas-fonds, se tenait immobile, pareil à ces oiseaux qu’on sculpte sur les sépulcres, un cormoran qui, tout à coup, se laissait tomber comme une pierre, plongeait pour attraper sa proie, revenait à la surface de l’eau avec un poisson au travers du bec, avalait ce poisson, remontait sur son pieu, et reprenait sa taciturne immobilité jusqu’à ce qu’un nouveau poisson, passant à sa portée, sollicitât son appétit, et, l’emportant sur sa paresse, le fît disparaître de nouveau pour reparaître encore.

Et pendant ce temps, de cinq minutes en cinq minutes, l’air était rayé par une file de flamands dont les ailes de pourpre se détachaient sur le blanc mat de leur plumage, et, formant un dessin carré, semblaient un jeu de cartes composé d’as de carreau seulement, et volant sur une seule ligne.

À l’horizon était Tunis, c’est-à-dire un amas de maisons carrées, sans fenêtres, sans ouvertures, montant en amphithéâtre, blanches comme de la craie, et se détachant sur le ciel avec une netteté singulière. À gauche s’élevaient comme une immense muraille à créneaux, les montagnes de Plomb, dont le nom indique la teinte sombre ; à leur pied rampaient le marabout et le village des Sidi-Fathallah ; à droite on distinguait le tombeau de Saint-Louis et la place où fut Carthage ; deux des plus grands souvenirs qu’il y ait dans l’histoire du monde. Derrière nous se balançait à l’ancre le Montezuma, magnifique frégate à vapeur de la force de quatre cent cinquante chevaux.

Certes, il y avait bien là de quoi distraire l’imagination la plus préoccupée. À la vue de toutes ces richesses, en eût oublié la veille, le jour et le lendemain. Mais mon esprit était à dix ans de là, fixé obstinément sur une seule pensée qu’un rêve avait clouée dans mon cerveau.

Mon œil devint fixe. Tout ce splendide panorama s’effaça Peu à peu dans la vaguité de mon regard. Bientôt je ne vis plus rien de ce qui existait : La réalité disparut ; puis, du milieu de ce vide nuageux, comme sous la baguette d’une fée, se dessina un salon aux lambris blancs, dans l’enfoncement duquel, assise devant un piano où ses doigts erraient négligemment, se tenait une femme inspirée et pensive à la fois, une muse et une sainte. Je reconnus cette femme, et je murmurai comme si elle eût pu m’entendre :

— Je vous salue, Marie, pleine de grâces, mon esprit est avec vous.

Puis, n’essayant plus de résister à cet ange aux ailes blanches qui, me ramenant aux jours de ma jeunesse, et comme une vision charmante, me montrait cette chaste figure de jeune fille, de jeune femme et de mère, je me laissai emporter au courant de ce fleuve qu’on appelle la mémoire, et qui remonte le passé au lieu de descendre vers l’avenir.

Alors je fus pris de ce sentiment si égoïste, et par conséquent si naturel à l’homme, qui le pousse à ne point garder sa pensée à lui seul, à doubler l’étendue de ses sensations en les communiquant, et à verser enfin dans une autre âme la liqueur douce ou amère qui remplit son âme.

Je pris une plume et j’écrivis :

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